(Épisode précédent disponible ici)
C’est déjà l’après-midi. On a passé près d’une heure sur le toit de la cathédrale. Il faut dire que devant un beau panorama je suis un peu comme ces touristes japonais (vous savez : dans le cliché du touriste japonais) qui peuvent rester des heures face à la Joconde. Je suis allé des tas de fois au Louvre, je crois qu’il s’agit du seul tableau que je n’ai jamais été voir de près. Milan c’est un peu pareil. Je la vois, mais de loin. On s’éloigne de la « Piazza Duomo » par la « Via Orefici ». Un tramway de couleur jaune-orange se glisse paisiblement à côté de nous. Il offre un sacré contraste avec le reste de la rue dont on aurait presque pu juger le gris dominant de mauvais goût si les façades n’avaient été d’une pareille élégance. Je m’étonne d’ailleurs en y repensant qu’une ville semblable, capitale (souffle-t-on) de la mode adopte un faciès si pur et distingué. Là où l’on ne croit voir partout que des mannequins frustrés ou « Wannabe » (au mieux), les formes refaites au bistouri et la façade au pot de peinture, la Milan elle, fait office de Reine au milieu des catins, droite au centre d’un parterre de courtisanes mêmes pas assez ressemblantes pour en singer l’esquisse. On traverse bientôt la « Piazza Mercanti » et son marché couvert. Une dizaine d’ouvriers est en train de l’abattre. Arrive ensuite cet ultime segment de la « Via Dante » réservée aux piétons. Au loin on aperçoit le « Castello Sforzesco » mais avant cela on atterrit dans un rond-point. Une large place baptisée « Largo Cairoli » l’encadre tandis qu’au milieu, sans l’indifférence générale des voitures qui la frôlent en tournant autour, se dresse la grande statue d’un cavalier.
Je plisse les yeux pour concentrer mon regard sur le socle où le nom « Giuseppe Garibaldi » se trouve gravé. Lucca et moi on s’arrête un peu plus loin chez une vendeuse de sandwiches figée dans sa petite cabane en bois toute peinte d’un vert du plus mauvais effet, juste entre le « Foro Buonaparte » et le kiosque « The Wall Street Europe Journal ». On s’y fait servir « due sandwiches » au jambon et « due coca » à emporter puis l’on fait le tour du rond point jusqu’à se trouver dans l’axe du château et de la fontaine qui en précède le pont-levis. C’est un sacré bâtiment, une véritable forteresse du moyen-âge. Autant dire que cela contraste pas mal avec Milan, son faste finement dosé comme son élégance hautaine mais discrète. On imagine même plutôt mal les ancêtres de Fabrice del Dongo ou de l’Abbesse de Castro (au hasard), y passer leurs rudes soirées d’hiver : lotis dans le froid entre les épaisses murailles de pierre. D’une manière générale Milan me fait un peu penser à Paris, ou Paris à Milan. Les couleurs de l’une étant plus vives que l’autre. Le château n’y fait justement pas exception. Ainsi, la pierre dont on l’a bâti revêt une curieuse teinte rougeoyante plus ou moins saumon et qui m’évoque pour être tout a fait franc la forteresse de quelque seigneur féodal bien sadique et sanguinaire. Un panneau en bois planté dans l’herbe, juste à l’entrée vient cependant bien vite me contredire dans cette idée et m’apprend du même coup que Francesco Sforza (le propriétaire initial), bien que seigneur de guerre de formation avait été semble-t-il un type assez raisonnable. Il s’était par exemple attelé bien davantage à la délicate entreprise de recherche d’une paix plutôt qu’à l’annexion systématique des duchés alentours. On se trouve maintenant aux pieds de la muraille. Le chemin de ronde est assez original : ici pas de créneaux, pas de merlons, le tout est abrité par un toit de tuiles qui lui donne davantage l’aspect d’un couloir dans lequel auraient été creusées diverses ouvertures afin de se défendre. Il y a tout de même des mâchicoulis. Je fais d’ailleurs remarquer à Lucca que nous sommes juste en dessous (dans les douves) et qu’il serait facile de se prendre quelque chose sur la tête. Il me demande si je pense vraiment qu’ils sont en état de marche et je lui réponds qu’il suffirait pour cela qu’un touriste un peu facétieux et en visite sur le chemin de ronde en ait envie. On remonte donc hâtivement la petite pente en herbes qui nous a conduit aux douves, on traverse ce qui devait être autrefois un pont levis et l’on franchit le porche qui marque l’accès au mur d’enceinte. Il est dominé par une lourde herse encore suspendue dans le vide telle une épée de Damoclès prête à s’abattre sur la nuque des touristes païens que nous sommes. Elle même se voit surplombée par une haute tour. Elle est assez simplement décorée de quelques statues puis d’une horloge et enfin à son extrémité de ce qui me semble être un petit clocher. Nous arrivons dans la cour principale du château. Il y a de larges parterres d’herbe à gauche et à droite ainsi qu’une petite fontaine toute simple (j’entends par là un robinet) au centre. Lucca s’y rue. C’est l’une des particularités très agréables de Milan et comme je le découvrirai par la suite de l’Italie du nord en général : on y trouve des fontaines d’eau potable absolument partout. Je pense que ce sont les commerçants qui doivent pester car si tel n’était pas le cas, la chaleur jouant son rôle, leur chiffre d’affaire des ventes de boissons serait sans doute décuplé. Pendant qu’il recharge ses deux ou trois bouteilles je jette un œil alentour. Un autre mur d’enceinte au milieu duquel se trouve plantée une autre tour en tout point similaire à la première se dresse dans l’axe du petit chemin en pierre arpenté par les touristes. On s’en approche pour franchir un second porche conduisant à l’intérieur d’une cour, cette fois beaucoup plus petite que la précédente. Il y a comme une seconde forteresse ici. Les appartements du Duc. Oui, ce château est fichu comme une bande de poupées russes emboîtées l’une dans l’autre. On n’y reste pas longtemps comme ce n’est pour nous qu’une étape vers le « Parco Sempione ». La traversée se poursuit. En quelques minutes nous sommes de l’autre côté. On se retrouve aussitôt après avoir franchi sa muraille nord-ouest (le château forme un losange pointant en direction du nord) sur un large pan d’herbe offrant une jolie perspective du parc, du petit lac en son milieu et tout au bout de « l’Arco della Pace ». Lucca et moi on décide de ne pas l’engager immédiatement. On bifurque sur la droite pour débouler le long d’un petit chemin qui nous conduit sous une rangée d’arbres aux feuillages éparses mais suffisamment denses pour nous offrir un moment de répit à l’ombre de ce soleil de plomb. On déballe nos sandwiches. Je me précipite sur ma canette et la dégoupille sans doute un peu trop vite puisque le liquide me pète à la tronche et j’en perds « sans doute la moitié » comme me le fait remarquer Lucca. Un peu plus loin des types sont en train de démonter une scène. Le bruit du métal qui s’entrechoque, des pneus de leurs espèces de tracteurs sur le gravier a quelque chose de bénin. Sans eux l’ambiance serait certainement un peu trop contemplative, calme… béate ? Je finis mon sandwich lorsque Lucca commence à déballer le sien. Mon regard suit une bande de gothiques qui au loin traverse le parc en suivant avec scrupules l’un des nombreux sentiers qui le quadrillent. Lucca jette nos deux emballages à la poubelle et l’on quitte ce cercle d’ombre nous tenant lieu de parasol. On attaque le « Parco Sempione » de front en empruntant une petite voie mi sablonneuse mi caillouteuse. Ce parc ressemble beaucoup à celui que nous avions visité la veille. Il me semble en tout cas similaire dans son arrangement et ses dimensions. Son arrangement car l’on y trouve tout comme l’autre un petit lac au centre, quelques zones un peu plus boisées, et de grands espaces d’herbe fraiche, ou sèche selon qu’ils soient exposés à l’ombre ou au soleil. Cela crée d’ailleurs quelques contrastes du plus bel effet et l’on voit ainsi leur teinte passer brusquement du vert clair (presque jaune) au vert bouteille et ce, en en un seul trait, comme une frontière adroitement tracée. Dans les coins d’obscurité on trouve une fois encore beaucoup de groupes de jeunes milanais, lesquels s’emploient le plus souvent à l’une des activités suivantes : descendre des bières en bavardant : cinquante pourcents sur la population globale, population globale que l’on désignera par un « x » et ne concernant que la tranche d’âge des dix huit, trente ans. Marcher (j’inclus ici les promeneurs, avec ou sans animal) : vingt pourcents de « x ». Jouer au football : quinze pourcents de « x ». S’embrasser : quinze pourcents de « x ». Lucca et moi on s’approche du petit lac situé, je l’ai dit, au centre du parc. D’ici l’on se trouve approximativement à égale distance de « l’Arco della Pace » et du « Castello Sforzesco ». L’accès au bord de l’eau est plus ou moins bloqué par quelques barrières en bois. De l’autre côté des barrières, sur l’étroite bande de galets emplâtrés les uns aux autres, je vois un père et son fils en train de mettre une maquette de navire à l’eau. Je crois reconnaître un « Clipper » mais je n’en suis plus très sûr et je n’ai d’ailleurs pas l’occasion d’en chiffrer les voiles puisque mon regard se voit alors saisi par le miroitement des arbres en bordure du lac sur sa fine pellicule d’épiderme transparent. Cette vision avorte néanmoins très vite. Le petit vaisseau vogue désormais pour ne laisser dans son sillage qu’un mince sillon et l’image de ces arbres, emportée dans un kaléidoscope de formes abstraites. On suit le sentier vers l’est en longeant le plan d’eau. Il me semble d’ailleurs s’émincer au fur et à mesure. Un pont se présente après quelques minutes de marche et propose de nous faire traverser ce qui ne constitue maintenant guère plus qu’un simple bras d’eau stagnante. On s’y engage puisque le chemin qui l’emprunte m’a tout l’air de prendre la direction de l’Arc. D’étranges créatures stupéfiées dans la pierre nous observent gravir ses trois ou quatre marches. Elles m’évoquent un mélange de sirènes et dryades. De sirènes puisque nues, ne disposant pas de jambes mais d’une queue couverte d’écailles (avec la nageoire au bout), et armées de lances. De dryades car la zone de transition entre leurs corps de femmes et leur nageoire est couverte de feuilles et qu’à bien y regarder, cette nageoire se séparent en trois « palmes » dont les formes rappellent celles d’une feuille de chêne. Des dizaines de cadenas sont accrochés aux garde-fous du pont et je mets bien cinq secondes à en comprendre la signification : après que mon regard ait embrassé la multitude de tags ou graffitis (c’est selon, car tous ne sont pas aussi élaborés) de noms, le plus souvent féminin puis masculin circonscrits à un grand cœur. Il y a quelques exceptions notables, on trouve ainsi parfois deux noms féminins ou masculins mais le plus souvent assez peu lisibles puisque soigneusement barrés par une main tierce (à en juger les différences dans le coup de crayon). Je m’approche davantage. Je suis impressionné car certains cadenas sont tout à fait massifs et constituent – je le devine – un véritable investissement. On achève de traverser le pont, cela ne prend pas longtemps comme sa longueur totale doit avoisiner les six mètres. Notre traversée du parc se poursuit d’un sentier à l’autre. On finit par couper à travers un vaste pan d’herbe exposé en plein soleil. Sa relative fraicheur m’étonne. Des jardiniers doivent passer ici régulièrement pour l’asperger d’eau. Un grand black tout maigre quitte son groupe de junkies et nous propose de l’herbe. Je lui réponds par une citation : « I am high thank you, I am high. » (Jimi Hendrix, Woodstock mille-neuf-cents soixante neuf), ce qu’il comprend je crois par « I have mine thank you, I have mine » puisqu’il nous fout immédiatement la paix. Bien entendu je ne suis pas « high » (pour qui me prends-tu lecteur ?) mais j’éprouve alors le désir de le décevoir puisqu’il n’y a rien que je déteste tant que les dealers de gazon squatteurs de statues en marbre comme on en trouve partout dans les parcs historiques. Le reste de notre marche vers « l’Arco della Pace » se déroule sans encombre et l’on atteint après quelques minutes de marche l’espèce d’hémicycle lui tenant lieu de place, d’écrin. Il n’y a pas un chat. Il n’y a personne non plus. Juste un camion de travaux depuis lequel se dresse une grue et sa nacelle. Une équipe d’artisans s’affaire à rénover les sculptures et bas-reliefs ornant la façade. Elle ressemble pas mal à l’Arc de Triomphe à ceci près que quatre colonnes et quatre pilastres la soutiennent en plus de ses quatre piles fièrement campées sur le sol. Au dessus des chapiteaux des deux paires de colonnes sont affalées les statues de deux types. Simplement vêtus de pagnes autour de la taille. Ils ont de longues barbes blanches de vieux, ce qui ne les empêche pas d’être gaulés comme Stallone dans Rambo. Par dessus le marché ils ont de faux airs de dieux Grecs de l’antiquité. Encore au dessus, sur le toit de l’arche on trouve deux cavaliers escortant un grand type posté sur un char, lui aussi antique, tiré par des chevaux. Je remarque alors seulement le bas-relief du dessous. Il y est écrit en italien : « Napoleone III e Vittorio Emanuele II liberatori Milano esultante cancellò da questi marmi le impronte servili e vi scrisse l’indipendenza d’Italia MDCCCLIX ». Je ne parle pas italien (au cas où le lecteur ne l’aurait pas encore saisi). Néanmoins la langue est assez transparente et mes connaissances historiques suffisantes pour comprendre de quoi il en retourne : cette arc est un hommage à la libération de Milan par Vittorio Emanuele II et Napoléon III, lequel œuvrait alors à l’unification de l’Italie pour des raisons politiques et par crainte de la grandissante menace Autrichienne (Vous n’avez jamais vu « Senso ? », pas le porno-soft de Tinto Brass mais la version originale de Visconti ?). Tout cela pour dire que je suis bien aise de cet heureux événement historique puisqu’il me permet aujourd’hui d’admirer un fort beau monument. On quitte le parc par l’ouest en empruntant la « Via Mario Pagano » puis en bifurquant sur la « Via Lodovico Ariosto ». Cette dernière rue offre d’ailleurs un excellent condensé de toutes les formes d’architecture que l’on peut rencontrer dans cette ville. Depuis le style dix neuvième avec ses façades criblées de fenêtres et bien sûr toutes embellies de sublimes ornementations, de loggias, de balcons, jusqu’au style contemporain, murs blancs et sans reliefs, fenêtres droites à stores électriques, volets coulissants à lattes en plastiques, en passant par les cartons « Esselunga » (supermarché), excellents rapport de poids, isolation, étanchéité, en un mot l’ami fidèle de tous les SDF à Milan. Ils brûlent même assez mal et leur laissent quelques secondes de délai pour sortir lorsque de jeunes branchés de la Ligue du Nord les aspergent d’essence. Lucca et moi on passe le reste de l’après-midi à errer dans le sud de la ville. Il ne s’y passe, disons-le franchement, pas grand chose. On est un lundi, la plupart des autochtones travaillent et l’on se retrouve donc avec des touristes pour seuls figurants de notre plat périple d’un quartier à l’autre dans cette Milan chiante comme la pluie tandis que le soleil brille au plus haut de sa forme. C’est en descendant vers le sud toujours que l’on passe à côté de la « Basilica San Lorenzo ». On l’atteint par le côté est, c’est à dire par derrière et dans le dos de l’édifice s’étend un petit espace de verdure entouré d’une grille de taille moyenne. Aux pieds de la basilique, j’aperçois de jeunes milanais assis dans l’herbe. Ils forment un large cercle qui vu le décor me rappelle ces vieilles toiles illustrant la légende des chevaliers de la table ronde. Mais à cette « table ronde » on accepte les femmes, on les tolère même plutôt bien puisque certaines sont à demi couchées, la tête sur les genoux d’un galant, les cuisses et le reste sur ceux d’un autre. A cette distance je ne distingue que la rumeur de leurs voix et leur conversation reste un mystère. Je suis néanmoins à peu près sûr à en juger leurs mines qu’ils ne sont pas en train de parler enterrement, du taux de chômage actuel dans le pays (deux milles dix, un cru record paraît-il alors dans la presse), ou encore de la performance de leur équipe nationale en coupe du monde de foot. On longe les grilles du parc (car c’en est un, je le découvre seulement), on passe devant un lycée (cela explique sans doute la taux anormalement élevé de jeunes dans les parages) et enfin on passe les grilles par un petit portail. On emprunte un chemin longeant la « Cappella di Sant’Aquilino », une petite chapelle venue se greffer à la basilique originale si j’en crois les panneaux d’information et l’on arrive dans une rue piétonne adjacente à ladite basilique après s’être glissé sous les restes d’un portique en pierre à trois arcades dont les voûtes épousent successivement et de gauche à droite la forme ogive, sphérique, ogive. On emprunte celle du milieu. La sphérique donc. Le tramway doit passer par ici également comme l’on voit à nos pieds des nervures dans le sol à demi comblées par des rails. Dans cette rue piétonne on remarque tout d’abord l’alignement de colonnes qui s’étend sur tout son long, à gauche, lorsque la basilique se trouve sur notre droite et que notre regard pointe donc en direction du nord. J’apprends qu’elles sont connues. On les appelle « Colonne di San Lorenzo ». Ces colonnes de style romain autant que je puisse en juger se trouvent posées sur un petit muret en pierre, le rendez-vous semble-t-il des jeunes milanais des quartiers sud. Lucca et moi on s’assied un moment parmi eux à reluquer les nanas qui passent. On est ici bien loin de cette « peinture type » de la milanaise que j’avais cru voir auparavant. Les gothiques succèdent aux punks qui ouvrent la voix aux emo puis aux étudiantes un peu roots. Ca sent l’herbe et l’alcool mais c’est une rue piétonne donc ça va. Les carabinieri n’ont pas l’air trop motivés pour descendre de leurs caisses. On reste ici posés quelques longues minutes, admirant la façade de la basilique San Lorenzo. Sur son parvis il y a la statue d’un romain. Je prends la peine de me lever pour lire la petite plaque. Il s’agit de « l’Imperatore Constantino ». Pour une raison que je ne m’explique qu’à moitié – les dimensions relativement modestes de la statue en comparaison de celles de la basilique sans doute – ce cher empereur a l’air tout à fait minable. Vues de loin, c’est à dire depuis les colonnes de Saint Laurent, ses proportions sont mêmes assez étranges. A cause de sa position, bras droit levé et brandissant on ne sait trop quoi (un petit objet de forme cylindrique), Lucca me fait remarquer qu’il a l’air d’un ivrogne. Dès lors, cette vision ne me quitte plus et j’ai toutes les peines du monde à remettre les éléments dans un certain contexte : empire romain, basilique, trois cents soixante douze (l’année où débuta sa construction), marbre, empereur, christianisme etc… On laisse quelques minutes supplémentaires filer et je me rends compte que la proportion de jeunes est ici anormalement élevée. Il s’agit sans doute d’un quartier universitaire. Cela ne m’explique en revanche pourquoi tous passent leur temps libre de vacances à deux pas de leurs facs, lycées, collèges. On finit par aller se perdre dans les ruelles annexes. C’est la fin d’après-midi. Le soleil ne brille déjà plus aussi haut et l’atmosphère de la ville s’adoucit au fur et à mesure que le crépis des façades, que le marbre et toutes sortes de pierres dont elle est bâtie se voilent d’une teinte orange. C’est en errant ainsi que « l’Università Cattolica del Sacro Cuore » nous tombe dessus. Son mur d’enceinte en tous cas. Au début on ne fait même pas attention et l’on se contente de le suivre. Ce n’est qu’au moment où l’on s’apprête à pénétrer dans une petite maisonnette assez accueillante avec un minibar, des canapés, des baby-foot etc… que Lucca me fait remarquer qu’il s’agit là sans doute du foyer universitaire. Le temps de trouver la sortie du site ne nous suffit pas à comprendre comment de son enceinte extérieure nous avons atterri dans le saint des saints, la pièce la plus importante de toute faculté : la salle de détente (sondage recueilli en France sur une population étudiante de mille individus entre dix huit et vingt quatre ans), sans même présenter une carte, ou quoi que ce soit. En plus c’est ici une université « Catholique » d’après son propre nom, et même si je ne sais pas exactement ce que cela veut dire (catéchisme au programme ?) quelque chose me dit que ce foyer en voit de belles le samedi soir. On a marché toute la journée, nos semelles sont brûlantes et nous tannent la plante des pieds. Lucca propose de rentrer à l’hôtel faire une petite pause avant ce soir. Il doit être dix-huit heures. J’ai dû mal à refuser cette perche qu’il me tend. Depuis notre arrivée je suis en effet désagréablement surpris par ma mauvaise aptitude à supporter la marche en plein cagnard. C’est pire pour Lucca. On se retrouve à boire des litres d’eau par jour. Heureusement il y a des fontaines un peu partout mais je crois l’avoir déjà dit. Le soleil m’a plombé la tête ce jour et je suis un peu patraque. On retrouve notre hôtel sans trop faire de détours et je me pose dans le lit pour une séance de micro-sommeils à répétitions tandis que Lucca s’attèle à trouver un bon endroit où manger ce soir. Il me demande s’il doit chercher dans la catégorie « bon repas pas chers » de cette petite brochure estivale sur Milan en principe réservée à ces cons de touristes mais que l’on a quand même prise au cas où. Je lui dis de regarder plutôt dans la rubrique « bouffe dégueulasse et hors de prix » avant de retomber dans un autre micro-sommeil. Je me réveille trois ou quatre minutes après. Il me dit qu’il n’a pas trouvé. Je lui dis de chercher un restaurant pas trop cher qui se trouve dans les parages et me rendors. Cinq minutes plus tard il m’annonce qu’il pense avoir enfin trouvé. Cela se trouve dans le nord et cela sert des fruits de mer essentiellement. Je lui fais remarquer que l’on est à Milan mais il n’a pas l’air d’entendre et dix fois soixante secondes plus tard on est de nouveau dans la rue. Comme à son habitude la charmante hôtesse nous a fait des signes pour que l’on vienne la voir mais comme de coutume nous lui avons répondu en secouant la tête. Lucca et moi on a déjà tout ce qu’il faut, pas la peine de s’encombrer avec des détails inutiles. On traverse Milan sous couvert des premières ombres de la nuit. Notre restaurant ne se trouve pas très loin d’après Lucca. Comme c’est lui qui a organisé la soirée je le laisse nous y conduire sans vraiment faire attention. Après un quart d’heure de marche il lit « Viale Abruzzi » sur un panneau, pousse un petit cri d’exclamation et m’annonce d’une voix guillerette que nous ne sommes plus qu’à la moitié. Je remarque qu’au fur et à mesure de notre marche, l’architecture traditionnelle Milanaise se fond dans les masses, les blocs de béton au profit d’un style nettement plus actuel. Je crois que nous sommes désormais bien loin du centre. Cela m’a tout l’air d’être un quartier résidentiel. On finit par atteindre notre restaurant. Le serveur qui vient nous voir parle français. Alléluia cela me permet de commander une pizza en sachant à peu près à quoi m’attendre en termes de garnitures, de même pour Lucca à ceci près qu’il prend de pattes. On commande aussi des boissons car c’est après tout notre dernière nuit à Milan (ouf !). En entrée on nous sert une sorte d’apéritif de couleur orange avec une tranche de citron en travers. Lucca y trempe d’abord les lèvres avant de descendre le verre d’un trait et ajouter que c’est délicieux. A mon tour j’ingurgite donc d’un seul trait l’étrange breuvage (j’ai pris soin d’attendre sa réaction pour être sûr que c’est alcoolisé). Effectivement c’est délicieux. Quelques tables plus loin, à une petite table, une paire de milanais nous mate d’un œil interdit. Le type a l’air d’être dans les affaires et la nana d’être sa secrétaire. Un dur boulot. A plein temps. Même le soir ils doivent bouffer ensemble. En parlant de cela la notre arrive justement. Je suis rassuré puisqu’à première vue ma pizza ressemble à peu près à l’idée que je m’en étais faite en lisant la carte. Une bonne chose tout d’abord: il n’y a pas d’anchois ! J’en suis sûr désormais. Lucca lorgne le verre d’alcool que le serveur vient mettre juste sous mon nez. Je le porte à mes lèvres et en bois une petite gorgée. Lorsque je le repose il n’est plein qu’aux trois quarts. Je m’exclame que c’est délicieux avant de m’assurer auprès de Lucca que le verre était bien rempli en arrivant, ce qu’il me confirme en levant les yeux au ciel. Je lui demande s’il en veut. Il me dit que non d’une voix boudeuse. Je lui demande la raison pour laquelle il n’a pris que de l’eau si cela lui fait tellement envie. Il m’explique qu’il a décidé de se ressourcer durant ce voyage, de ne pas boire, ni rien d’autre de même nature. Je fais mine d’être impressionné et cela m’a tout l’air de prendre à en croire l’air crâne qu’il affiche alors. On commence à manger. Cinq minutes après j’ai terminé. Lucca fait couler la sauce sur ses pates en me traitant de con. Je continue de descendre mon verre. C’est brun, c’et lourd, c’est délicieux, ça se déguste et c’est exactement en ces termes que je lui décris mon breuvage. Il me le confirme quelques secondes plus tard après en avoir descendu une, puis deux, puis trois gorgées. Je suis même obligé de lui prendre des mains. En principe je n’aime pas trop que l’on boive dans mon verre. Je demande à Lucca si les pates italiennes sont si bonnes qu’on le prétend et il me répond par l’affirmative. Je m’interroge alors sur le « secret ». Il ne comprend pas de quoi je veux parler. Je précise. Il suppose que ce sont les pates d’ici qui sont faites autrement. Je réfléchis quelques instants. Quelles sont les différences entre un paquet de « Barrilla » italien et un paquet de « Barilla » français (je pose cette question à voix haute). Lucca la prend pour lui et me répond qu’il n’y en a pas avant de demander pourquoi cela m’intéresse. Je lui explique que j’ai justement vu un paquet de « Barilla » en cuisines lorsque je suis allé me laver les mains en arrivant. (Je ne l’avais pas précisé mais cela tombe sous le sens bien sûr). Il secoue la tête en disant que je me suis trompé. J’acquiesce pour lui donner raison et c’est d’ailleurs sans doute le cas. Je profite que Lucca achève son plat pour examiner la déco du restaurant. Comme son nom l’indique, (je ne m’en rappelle plus malheureusement… « L’étoile de mer » ? « Le Radeau de la méduse » ? « Le Poulpe lubrique » ? Je sais que je ne suis pas loin) c’est un décor marin. Il y a des bouées suspendues au plafond et des photos de phares, bateaux, plages etc… Il y a même un grand aquarium à l’autre bout de la salle. Il n’y a pas de poissons dedans par contre. C’est la Crise pour tout le monde n’est-ce pas ? Lucca termine son plat de pates et je continue à descendre mon alcool en bavardant. Je lui fais part de tout un tas d’idées qui me traversent alors l’esprit. Je prends par exemple conscience du fait que nous sommes les fils d’un peuple régicide. Lucca connaît le mot « régicide ». Comme tous les gens de notre génération Lucca a joué à « Age of Empires II »lorsqu’il était ado et il se souvient que l’un des modes s’intitulait précisément « régicide » et qu’il était bien sûr question d’aller dézinguer le roi adverse pour remporter la partie. A côté, le businessman et sa secrétaire se lèvent et quittent le restaurant. Sans doute leur reste-t-il du travail. Faire sprinter l’unijambiste par exemple. C’est ce que je dis à Lucca mais il ne voit pas quel unijambiste je veux parler. Moi non plus en fait. Autour, les murs de la pièce semblent s’être resserrés. Je crois. Mon verre est vide. La serveuse revient vers nous. C’est la même qu’à notre arrivée. Elle nous parle en français. Je demande à Lucca ce qu’elle veut. Elle pose un verre devant moi. C’est celui que j’ai commandé. Je l’ai déjà dit. Lucca me dit des choses. Je le sais car ses lèvres bougent. Il fait chaud. Mon regard se pose. Plus loin. Sur l’aquarium. J’observe le petit manège des poissons dans l’eau. Ils ont de drôles de formes. Tout de même. J’ai l’impression d’étouffer. Ma tête s’alourdit. Je défais quelques boutons de ma chemise. Elle est trempée de sueur. Ma chemise s’entrouvre. Zéphyr est devant. Je n’arrive pas à le voir. Je sais pourtant qu’il est là. C’est lui qui tire dessus. Elle s’est entrouverte sans résistance. Il n’y avait plus de bouton pour la retenir. La Nuit Milanaise est tiède. On déboule au hasard des ruelles. Des gens me regardent. Ils ne sont pas mieux que moi. J’ai l’impression de faire du sur place. Ce sont les trottoirs qui se déroulent sous mes pieds. Les bâtiments glissent sur ce parterre de pavés. Je lève la tête. Il y a des balcons. Partout. Les paupières de sombres fenêtres. Elles me regardent. Elles sont tapies derrière leurs barreaux. De petits bonhommes tout blanc m’observent eux aussi. Du coin de l’œil je les regarde gesticuler. Dès que je me tourne vers eux ils s’immobilisent. Ils ont des petites ailes sur le dos. Ils jouent de la harpe électrique. Des décors. Il y a des machinistes. Ils tirent dessus lorsque je passe. On s’enfonce un peu plus dans la ville. On se perd davantage. J’avance fixé sur des rails. On arrive dans une grande place. Il y a le Duomo aussi. C’est une grande peinture dressée. Une peinture impressionniste. La façade de la cathédrale de Rouen. Picasso. Il y a trop de détails. Je ne vois qu’un pâté de marbre dégoulinant. Je sens un truc un peu lourd dans ma poche. Je mets ma main. J’en sors une clef. Il y a un porte-clefs avec. C’est écrit « Milano » dessus. Je le montre à Lucca. Il ne doit pas comprendre. Il croit surement que je parle de la cathédrale. Il me parle « d’autel ». Je n’ai pas envie de discuter religion. Je m’écarte discrètement de lui. Je n’ai pas envie de m’ennuyer. Il me demande où je vais. Je réponds que je vais à la boulangerie. Cela marche. Il me croit. Je le sais parce qu’il hoche la tête en souriant. Il se réjouit à l’avance. Il se voit déjà croquer une baguette toute chaude. Le con. Tout le monde sait que le pain est froid à une heure du matin. Je retraverse la galerie toute dorée. Il y a des mecs assis par terre. Ils veulent me parler. Ils tendent la main. Ils m’invitent à m’asseoir. Je décline. Il y a trop de gens louches par ici. Ils arpentent la galerie. Leurs tronches sont collées à des vitrines. Le reste du temps ils ne marchent pas droit. Ils font des vagues. Je les surveille du coin de l’œil. Je m’aperçois qu’ils font de même. La galerie achève de se dérouler. Pas trop tôt. Je débouche sur une petite place. Au milieu il y a une statue entourée de bancs. Un peu plus loin un bâtiment. Il ne ressemble pas à grand chose. J’entends néanmoins de la musique. Elle s’en échappe. Une lourde effluve. Un puissant alcool. D’un coup, la musique me saute au visage. Le bâtiment irradie une étrange lumière. Depuis sa porte d’entrée. Un flux humain s’en déverse. Une armée de pingouins. Ils sont accompagnés de roses. Des roses rouges. Des roses blanches. Des roses violettes. Des roses jaunes. Des roses roses. Des roses jeunes. Des roses fanées. Ce n’est pas un spectacle très commun. Je me réjouis d’y assister. Je m’assieds sur un petit banc. Juste en face de la porte. Le flux se sépare en deux à ma hauteur. Il se rejoint ensuite. Avant d’être siphonné par la galerie lumineuse. La musique s’est tue. Je lis « Il barbiere di Siviglia ». C’est écrit sur une affiche. Elle est placardée sur la façade dudit bâtiment. Je suis furieux. Lucca m’a suivi. Il me demande pourquoi je n’ai pas acheté de pain. Je lui dis la vérité. Toutes les boulangeries sont fermées à cette heure. J’ai soif. Je bois. Juste un coup. Autour de moi tout le monde se pète la gueule d’un coup. Je rigole. Je suis le seul debout. On est devant un grand château. Il y a une fontaine aussi. Je trempe mon doigt dedans. L’eau est bonne. Fraiche. Désirable. Autour, des couples se mordent la bouche. Je m’écarte un peu de Lucca. J’ai pas envie que l’on nous prenne pour deux tantes. En plus je suis grand, blond, et très beau. J’ai des prédispositions au « soupçon ». Un mec vend des roses. Il tourne autour de la fontaine comme autour d’un pot. Il passe devant nous. Il jette un œil hésitant. Craintif même. On a l’impression que tout le monde retient son souffle aux alentours. Tout le monde nous regarde. Je lui fais mon regard du faucon (prononcez faux-con). Il trépigne. Il a comme un sursaut. Je sens une odeur de merde. En deux secondes il a disparu. C’est chiant quand deux potes voyagent. Il y a des quotas. Des quotas de meufs à faire chaque semaine. Sinon on devient gay. Dans la tête des gens en tout cas. Cela revient au même de toute façon. C’est le fruit de la pression sociale. C’est la réforme des retraites qui fait ça. Les italiens connaissent. Ils savent que je sais. Ils veulent me pousser à bout avec ça. L’eau de la fontaine est magnifique. Il y a plein de petits reflets dessus. Je vois des visages s’y dessiner puis se disloquer. Il y a de jolies filles qui se penchent là. Mon tableau de chasse est à zéro. Lucca pareil. Je suis pas sûr mais je pense. Donc gays. Les deux. Non bordel. J’ai pas fait six heures de Train à grande vitesse pour céder aux pressions sociales.
Après cela je ne me souviens plus.
Je me traîne jusqu’à notre hôtel, sans trop me demander comment. Cela fait « splash splash » lorsque j’avance. Je ne comprends pas pourquoi. Il fait un peu frais aussi et mes vêtements me collent à la peau. A peine ai-je fichu un orteil dans le hall que la charmante hôtesse d’accueil se précipite sur moi. Je suis pris de vitesse et elle m’intercepte sans mal. A partir d’ici commence un baratin dont je ne comprends pas un mot. Je ne saurais trop vous le retranscrire… Pensez fort à un film de Fellini et maintenant imaginez la scène. Décor : hall d’un hôtel de fortune, le comptoir se trouve à droite, les escaliers en face, le minibar à gauche. Personnages : La charmante hôtesse d’accueil. Un touriste français. Didascalie : Le touriste français entre en titubant (de fatigue). Aussitôt l’hôtesse se précipite sur lui et commence à parler très vite. Cela devrait vous donner un aperçu de la scène. Quelqu’un qui passe alors s’approche et je suis heureux qu’il débarque pour mettre un terme à sa pitoyable tentative d’accostage dont la finalité ne peut être qu’une partie à trois dans notre piaule, et donc la sienne puisque c’est son hôtel (règle numéro une : ne jamais s’envoyer en l’air avec sa propre marchandise). En parlant de cela je me demande où est passé Lucca. Le type, un bilingue démêle pour moi ses babillages et je comprends alors pourquoi celle-ci n’avait de cesse d’agiter un trousseau de clés sous mon pif : on est supposés les remettre à l’accueil chaque fois que l’on sort. Je m’étonne. Elle ne pouvait pas le dire avant ? Je porte la main à ma poche et en sort un petit trousseau, celui avec le porte-clés. Il est toujours écrit « Milano » dessus. Je ne comprends plus très bien. J’ai donc totalement rêvé tout à l’heure ou alors je suis encore en plein dedans. Je le montre à l’hôtesse qui le tourne d’un geste du poignet. Au verso il est écrit « EH » (les initiales de notre hôtel je crois). Je lui rends donc les clés mais elle les refuse (à raison) puisque je vais maintenant me coucher. Je regagne la chambre d’un pas lest. Lucca a l’air heureux de me voir. Il attendait dans le hall, à côté de l’ascenseur devant la porte. Je me demande quelques secondes ce qu’il a bien pu comprendre de la scène qui vient de se dérouler et dont il ne semble avoir été que le spectateur distant après avoir été déchu de son rang d’acteur à part entière, du fait de son incapacité à le tenir. Bref, il m’explique tandis que nous montons les marches qu’il attend quelqu’un ce soir et qu’il aimerait que je lui lâche la piaule pour une heure ou deux. Il précise que deux ça serait mieux mais que c’est entre moi et ma bonne conscience. Je demande s’il a pris quelque chose ce soir. Il me dit que non mais que c’est ferré et qu’il y a « plus qu’à ». Je dis qu’il a assuré contrairement à moi. Je dis que l’on devrait partager puisque l’on est « meilleurs copains ». Il dit qu’il pense pas. J’en veux à Lucca de ne pas vouloir partager. Je lui fais savoir. Il dit que je suis pas bien. Il ajoute que je me crois dans un film porno. Comme j’entends mal et que le copieux repas du soir n’est pas encore digéré je réponds à côté de la plaque « Où ça ? ». Lucca lève les yeux au ciel et dit que c’est sa touche, que j’ai qu’à m’en attraper une moi-même. Je le traite d’égoïste. Il me répond qu’il y a travaillé toute la soirée sur cette prise. Je m’étonne. Il m’explique que cela s’est passé lorsque nous étions à la fontaine. Je lui demande pourquoi il ne m’a pas emmené. Il répond que c’est ce qu’il voulait faire mais que j’ai préféré faire de l’aquagym dans la fontaine. Je me dis que c’est peut-être un début d’explication à mes vêtements mouillés. (Ils sont presque entièrement secs à présent). Il dit que je ne devrais pas me plaindre et que j’ai déjà de la chance de ne pas être en cellule de dégrisement. Je vois clair dans son jeu. La stratégie qu’il emploie est grotesque. Il essaye de me déstabiliser par des bobards, de la diffamation. Je ne mords pas à l’hameçon. Je suis plus malin que ça. J’essaye de l’avoir aux sentiments. Je dis que j’ai froid. Il dit qu’il ne voit pas en quel honneur il devrait partager avec moi. Je fais remarquer que j’ai partagé tantôt la moitié de ma bouteille d’eau douce avec lui (il s’est trouvé à sec à un moment). On s’arrête devant la porte de notre piaule. Il commence à devenir désagréable et la mauvaise foi le gagne. Il essaye de m’embobiner en affirmant que ça n’est pas pareil, que l’on peut pas mélanger « les carottes et les haricots ». Je réponds que les « choux et les courgettes » seraient plus approprié dans le cas présent. Il me demande un sac à vomi. Je n’en ai pas sur moi malheureusement. La conversation se poursuit encore quelques minutes et il peste car son « amie » ne va pas tarder etc… Bref je vois bien qu’il est hystérique et complètement immature donc je laisse tomber. Je dis que je « rigolais » et je lui laisse les clés de la piaule. Il dit que je suis un vrai pote et l’on se sépare. Lui entrant dans la chambre, moi empruntant le couloir. Je m’éloigne et le claquement d’une paire de talons ne tarde pas à se faire entendre dans l’escalier. J’avale ma salive. Au bout, à hauteur des marches apparaît une silhouette féminine. J’avance vers elle et vice-versa. Elle est franchement bien. Elle me plaît beaucoup. Je me dis alors que toute la soirée n’est pas perdue. Je vois bien qu’elle est italienne à cause de la robe Dolce Gabbana et des lunettes Ray Ban (il y une sacré lumière dans ce couloir). Je l’accoste de suite, sans même chercher à savoir, dans la langue de Shakespeare : « Hey ! Hi » Elle me sourit et répond « Buonasera » en ôtant ses verres. Je désigne d’un signe de la tête le reste du couloir « You’re looking for room two-hundred thirteen ? » Elle a d’abord un léger tic de surprise puis finit par acquiescer avec un sursaut de pudeur comme je le vois au teint de ses joues s’empourprer quelque peu. Je reprends alors : « Okay, it’s right over there. At the end of the corridor. Some people are already there. It’s gonna be great ». La donzelle marque un temps d’hésitation. Elle tire alors une drôle de tronche et hoche la tête en deux temps. Je la dépasse et poursuis mon chemin vers les escaliers, l’âme en paix, heureux de ma bonne action. Lucca n’emmène jamais de déodorant lorsqu’il est en voyage. Que dire des capotes alors ?
Le lecteur sera sans doute profondément ému qu’une bonne âme telle que moi puisse exister et manifeste ainsi de si beaux gestes d’amitié. Lucca aussi j’en suis sûr, lorsqu’il lira ces lignes.
Je passe une heure ou deux à errer dans Milan. Je me sens encore très lourd du restaurant.
Je regagne finalement l’hôtel. Lucca fait une drôle de tête. Je lui demande ce qu’il y a et il me répond qu’il s’est fait poser un lapin. Du coup, comme tout le monde est un peu déprimé, on décide de se faire une petite partie du jeu des sept familles. C’est une version spéciale. La notre. Notre jeu perso. On commence. Je suis plutôt mal barré. Je n’ai que deux cartes de la même famille. Je choisis de me concentrer dessus. C’est celle des « Petits Provocateurs Minables ». Je vois que Lucca est beaucoup plus avancé que moi après dix minutes de jeu. Il a déjà complété deux familles et moi zéro. Je demande la carte « Romain Gavras ». Il ne l’a pas. A lui de jouer. Il me demande le « D » (il fait la famille des cordes de guitare comme je le soupçonnais). Evidemment je l’ai et il complète sa troisième suite. Je dis qu’il est tard et que l’on devrait se coucher. Il me demande si je suis furieux de perdre. Je dis que c’est à cause du pain que l’on n’a pas trouvé tout à l’heure. Il pense que je mens. Je lui affirme alors que je crois avoir été floué au jeu. J’explique par la même occasion que je ne peux pas être furieux puisque battu par tricherie. Il me qualifie de mauvais joueur. Je lui donne les dix euros que l’on avait misés et l’on se couche. Je n’arrive pas à trouver le sommeil. La partie de sept familles me reste en travers de la gorge et de la tête. Je sais qu’il a triché. C’est lui qui a battu et distribué les cartes. Il les aura sans doute arrangées comme voulu au préalable et fait mine de les battre pour ne revenir qu’à leur état initial. En plus je crois me souvenir maintenant que certaines étaient étrangement cornées. Je réfléchis au meilleur moyen de récupérer mes dix euros. Il me semble que la meilleure solution serait de faire mine avoir oublié mon portefeuille demain, lorsque nous irons nous restaurer. Je confirme l’information des cartes pliées après m’être levé du lit pour les étudier plus à mon aise à hauteur de la lampe du lavabo de la « salle de bain ». Depuis le pieu, j’entends Lucca demander ce que je fous d’une voix ensommeillée. Comme je suis quelqu’un d’honnête je réponds que je suis juste en train de « regarder les cartes ». Il jure et m’intime de ne pas recommencer avec « Selen ». Je ne comprends pas ce qu’il veut dire. En revanche je connais bien la carte « Selen » (famille des meilleures actrices de X). Bref, je retourne me coucher, désormais certain que Lucca n’est qu’un gros tricheur. Au Far West il se serait fait buter dix fois par jour aux tables de jeu des saloons. C’est d’ailleurs ce que je lui dis à voix haute. Il me répond par un ronflement. Le sommeil agité de celui qui n’a pas l’âme en paix.
Le lendemain, pour nos dernières heures à Milan on décide d’aller voir la « Pinacoteca di Brera ». Le plus grand musée de peintures à Milan. On traverse le jardin public pour la centième fois au moins, on remonte la « Via Fatabenefratelli », une artère plutôt moderne du centre de Milan, on renoue avec sa version traditionnelle en débouchant sur la « Via Pontaccio ». Les façades jaunes, oranges et roses nous encerclent de même que les balcons à fleurs multicolores nous surplombent. On bifurque à gauche dans une petite rue. L’entrée de la pinacothèque se trouve là : simplement encadrée de deux colonnes saillantes à une façade de briques sobre mais avenante. On entre. Une vaste cour aux dimensions insoupçonnables se tient derrière. C’est le cœur du musée. Il se dresse tout autour sur un étage. Des colonnes, par paires, se donnent la réplique en formant des arcades. Il y a quelques statues. La plus imposante est celle qui se trouve au centre. Napoléon Bonaparte par Antonio Canova. Je lui trouve assez bonne mine à demi-nu en toge d’empereur romain. L’accès au musée même est au premier étage. On gravit la longue suite de marches qui y mène. Sur les rambardes de marbre sont assis quelques jeunes gens. Ils peignent, ils dessinent. L’académie des Beaux Arts de Brera est à deux pas. Ils viennent ici s’éduquer et éduquer leur art. Au même titre que les églises pour les chrétiens, le musée est un sanctuaire pour eux. Je dessine moi même donc j’imagine à peu près quel doit être leur plaisir de pratiquer cette science du trait dans un endroit pareil. Raffaello, Bellini, Caravaggio etc… ils vivent tous dans la petite remise, chaude et confortable, au fond de leur jardin. On passe à la caisse. Deux billets. On se fait passer pour des étudiants milanais. On a oublié nos cartes. On est désolés (« si, si scusa noi »). On paye trente pour cents moins cher. On entre dans le musée. Je n’apprécie la peinture que depuis peu. En fait dès lors que l’on m’a appris que le Louvre, comme d’autres musées étaient à entrée libre le premier dimanche de chaque mois. Du coup, j’y suis allé quatre ou cinq fois en un semestre. Je suis loin d’être expert, je ne suis même pas encore un amateur éclairé mais j’ai l’œil pour les toiles, je pratique le dessin depuis tout jeune donc mon approche, bien que profane dans l’aspect théorique de la chose, est – je m’en félicite- assez rompu au domaine de l’analyse purement artistique. Ce musée a une nette dominante en peintures de la Renaissance italienne. Ce n’est pas la période qui m’intéresse le plus alors. Ca l’est devenu depuis. La religion est bien sûr un sujet omniprésent. C’est peut-être ce qui attise ma curiosité. Le lecteur l’aura sans doute déjà compris mais je suis farouchement athée. Ces images bibliques ne m’inspirent rien. Pas le moindre sentiment. Je ne parviens pas à saisir ce qui dans l’histoire du Christ, de la Vierge Marie, des apôtres etc… a pu inspirer autant d’artistes de cette époque J’essaye de me mettre à la place de ces types. De Vinci, Raphaël, Botticelli, leurs œuvres ont eu un impact tel sur notre monde qu’il est aujourd’hui impossible à mesurer. Ils ont claqué il y a des siècles. Ils sont enterrés Dieu sait où pour certains. Et pourtant nos conceptions de l’amour, de la mort, de la vie, de la passion découlent probablement de leurs recherches, pinceaux à la main, débroussaillant, coupant court à tout ce merdier. Ils ont été les porteurs du feu, les guides dans l’obscurité et ils ont apporté la lumière à leur époque. J’ai du mal à croire qu’ils aient pu fusionner toutes leurs inspirations aux souhaits d’une bande de manchots, membres du gang de l’église catholique avec le grand « padre » à sa tête. Je me souviens d’ailleurs d’un truc que m’avait dit un prof de dessin au cours de mes études. La Renaissance achevée, Le Caravage dans son célèbre tableau « la Mort de la Vierge » aurait selon la légende pris une pute pour modèle dans sa représentation de la Vierge Marie. Imaginons la réaction de l’église. Si ce n’est pas de la provocation cela. A l’heure où le moindre connard montrant son cul à la télévision passe pour un élément subversif et fait la couverture de l’un de ses torchons à merde du genre de « Closer », le Caravage avait dû à l’époque (encore que ce n’était qu’une raison parmi d’autres semble-t-il) fuir pour sauver sa vie. Cela fait tout de même une sacré différence n’est-ce pas ? Même en visant trois ou quatre crans au dessus dans la catégorie des agitateurs politiques. Stéphane Guillon et lui même combat ? Pas sûr. Le pire qu’il ait risqué : se faire tè-je de France Inter. Et on l’appelle « polémiste », « provocateur ». Qu’y a-t-il de provocant ou de polémique à taper sur des mecs en étant niaisement soutenu et applaudi par quelques dizaines de milliers d’auditeurs, plus les quelques centaines de milliers d’autres péquenauds qui n’écoutent jamais ses chroniques mais à qui l’on a « raconté » ? Lorsque des types comme le Caravage s’en prennent indirectement à l’église catholique, il s’attaque à tous ces fidèles. (c’est à dire l’immense majorité de leurs compatriotes italiens de l’époque). Je ne vois guère que ces dessinateurs tirant la gueule de Mahomet sur du papier canson pour soutenir le rapprochement de nos jours. Je viens de passer une dizaine de minutes à contempler « Lamentation sur le Christ mort » d’Andrea Mantegna. C’est une toile très singulière, pas seulement à cause de son cadrage en plongée légère où l’on voit les pieds de Jésus au premier plan et le reste de son corps dans la perspective mais aussi une foule de petits détails : le volume de son sexe, particulièrement visible dans le drapé (il me semble qu’on le représente le plus souvent – à cette époque du moins – sous une forme asexuée). Les points de crucifixion sur ces mains et pieds, ici très marqués. La tête, inclinée à droite et rompant la perspective. On dirait que le peintre a voulu ici lui rendre sa nature d’homme, d’homme simple, par tous les moyens. Je ne suis pas croyant et comme je l’ai déjà dit : la religion ça ne m’a jamais vraiment intéressé. Force est d’admettre néanmoins que le Christ a dû être un sacré bon provocateur en son temps. Au cours de l’histoire il n’y a guère eu que ces fidèles pour ne pas s’en rendre compte et condamner les artistes, les penseurs, des personnes assez peu différentes sans doute, aux mêmes souffrances physiques et morales qu’on lui avait infligées. La visite se poursuit. Une particularité intéressante de la « Pinacoteca di Brera » se situe je le remarque dans la disposition des œuvres. Ainsi, des toiles du quinzième siècle côtoient par moment des travaux beaucoup plus contemporains (sculptures entre autre), mais conservant en général le même sujet, je vous le donne en mille : le Christianisme. Le musée n’est pas immense. D’habitude lorsque l’on en visite un Lucca et moi on aime bien rigoler un peu et plaisanter sur certaines toiles. Cette fois-ci on n’a pratiquement rien inventé. Même en passant Il y aurait pourtant de quoi faire et nul doute qu’en France, au cours de l’une de nos après-midi culturelles, on ne l’aurait pas épargnée lorsque pris d’humeur grivoise. On passe à côté de l’atelier de restauration. Il y a de grandes machines auxquelles sont suspendues les toiles. On dirait qu’elles sont cintrées dessus. Cela ressemble à une penderie de géant. On quitte le musée par une petite pièce où sont en vente des tas d’affaires. Lucca veut acheter un livre. Il l’examine page par page puis jette un œil au code barre avec le prix. Il fait beau dehors. On regagne notre hôtel en quelques dizaines de minutes. Nos bagages sont dans une petite annexe (on a demandé à les mettre ici puisque l’on devait libérer la piaule à partir de onze heures). On les récupère ainsi que des cadeaux de l’hôtesse d’accueil : un jeu de cinq cartes postales (chacun). On fait un grand sourire (le mien est plus convaincant que celui de Lucca). On dit « Grazie » et on fout le camp. C’est déjà l’après-midi et l’on n’a encore rien mangé. Par chance il se trouve à quelques pas d’ici ce qui semble être l’un des rares supermarchés de Milan. On s’y arrête pour faire le plein de bouffe : tomates, bananes, pain, charcuterie… tout ce qu’il faut pour un pique-nique digne de ce nom. On prend ensuite la direction de la gare « Milano Porta Garibaldi ». En chemin on s’arrête au jardin public pour déjeuner. Nos deux copines du premier jour sont là, toujours accompagnées de leur chien. Je dis à Paul qu’il faut vraiment ne rien avoir à faire de son temps pour venir végéter chaque jour dans un parc. Il me répond qu’il aimerait bien faire pareil. Je prépare nos sandwiches avec mon super couteau multifonction tandis qu’il part rincer les fruits et légumes à la fontaine. Il revient et commence à vouloir couper les tomates en tranches. Je lui retire les miennes des mains en le traitant de cinglé et mords à pleines dents leur chair écarlate. Elles éclatent dans ma bouche et je m’en fiche partout. Peu importe. C’est ainsi qu’il faut les consommer. Je termine ma troisième tomate au moment où Lucca achève de découper en fine lamelles sa toute première. Je m’attaque à mon sandwich. On a mis dedans à peu près tout ce qu’il était possible d’y faire rentrer : différents types de charcuterie, de fromages, de la salade et même des cornichons. Quelques minutes plus tard on a nos sacs sur le dos et l’on se dirige à grandes enjambées vers la gare. Ce n’est pas que l’on est pressés de dire au revoir à Milan mais on a hâte d’être à Côme. Dans la nature. On atteint bientôt la gare. Un coup d’œil aux panneaux d’indication des départs et arrivées nous apprend que le prochain train à direction de Côme part dans deux minutes. Comme l’on n’a même pas pris nos billets, et que l’on ne sait même pas où aller on décide d’être raisonnables et de prendre le suivant qui est dans une demi-heure. D’accord, c’est davantage par résignation qu’autre chose. On se rend au guichet où l’on demande deux billets pour Como mais « pas dans celui qui s’apprête à partir ». Je le répète plusieurs fois pour être sûr que la nana a bien imprimé et elle me répond par des hochements frénétiques de la tête. Je récupère nos billets et l’on dégage du comptoir. Un peu plus loin j’entends une sirène. C’est sans doute le train pour Côme qui s’en va. Lucca me demande à quelle heure est prévu le notre. Je jette un coup d’œil aux billets et après une sorte de « micro-phase » lui annonce que c’est à quinze heures. Il me fait remarquer que c’est maintenant, ce que je lui confirme. On détale alors dans toute la gare comme des tarés, se repérant au bruit de la sirène du train que l’on suppose être le nôtre. On s’engage sur un quai à toute allure et l’on grimpe dans le premier wagon qui se présente, juste avant que la porte ne se referme. Je m’accorde dix secondes pour reprendre mon souffle, je veux dire les dix secondes minimales nécessaires à la survie de votre cœur après une telle course, et passe la tête par une vitre entrouverte pour jeter un œil au panneau en bordure du quai. Il y est écrit tout un baratin incompréhensible avec des chiffres et des lettres. Je détecte cependant au milieu de tout ce bazar deux noms à la fois plaisants et familiers : « Milano », « Como ». Je pousse un soupir de soulagement et annonce à Lucca que l’on est dans le bon train. Je ne le trouve pas dans mon dos. Il est à deux, trois mètres, déjà confortablement affalé sur une banquette. Je l’imite tout en m’éventant le visage à l’aide de mon billet.
Le train démarre. Nous faisons nos adieux à la Milan sous le mix infernal du frottis métallique des roues sur leurs rails, des coups de sifflets du chef de gare, et du morceau de rap italien qu’une bande de lascars doit écouter plein tube dans le wagon voisin. On n’est pas seuls dans ce carré de quatre sièges. Je suis côté fenêtre et Lucca est à ma gauche côté couloir. En face de moi il y a une blonde d’un certain âge. Cela fait comique de répétition mais je dirais même plus : d’un âge certain. Bref elle me dit un vague truc en italien que j’interprète comme une question et hoche la tête en pensant que quelle que soit sa demande je n’en aurai rien à branler. Merde. Elle tire le rideau de la fenêtre. La fenêtre est ouverte bien sûr. Il n’y a pas la clim dans ces trains pourris. Le lecteur pensera au RER s’il veut en avoir un rapide aperçu, ceux de la ligne C notamment, ceux avec les doubles étages. Sauf qu’avec ce store qui l’obstrue il n’y a maintenant plus d’arrivée d’air. Lucca et moi on sue. On sue pire que Zidane après les quatre-vingt dix minutes. Dans le carré de sièges à notre gauche il y a un trio de nanas. On passe un peu de temps à reluquer et elles nous le rendent bien. C’est du moins le cas jusqu’au moment où l’un de nous se décide à causer et qu’elles s’aperçoivent que l’on calle pas un mot de leur charabia. Du coup elles cessent de s’intéresser à nous et engagent à trois une partie de Mario Kart sur leurs Nintendo DS. Je le sais car je reconnais les bruitages du jeu. Je peux même dire que l’une d’elles joue la princesse Peach (Ce sont ses petits cris « Oh » « Ah » qui la trahissent). La plus canon – une brune – franchit la ligne d’arrivée en faisant des bonds sur son siège. Elle a eu l’éclair. Je m’en doute car ces deux copines ont braillé en même temps et qu’il n’y a que ce pouvoir pour faire chier deux personnes en même temps. Je ne parle pas de l’huile sur l’écran, n’importe qui connaît l’astuce de se diriger à l’aveugle avec la mini-carte. Je la vois ensuite se passer la main dans les cheveux pour tout remettre en ordre. Derrière il y a une paire d’anglaises. Le truc chiant avec l’anglais c’est que tout le monde le comprend. Du coup est obligé de se farcir sa vie sans pouvoir rien faire d’autre qu’écouter. Disons entendre au minimum. C’est terrible lecteur. Imagine-toi par exemple attaché sur une chaise avec des écarteurs aux yeux et un écran où défilerait le texte que tu es présentement en train de lire. Il y en a qui aimeraient je ne le nie pas. Moi je ne m’intéresse aux autres que s’ils peuvent m’apporter quelque chose. L’histoire de cul de cette rouquine (Brandy, c’est son nom) avec un Suisse à la frontière ne m’apporte rien.
Disons-le clairement lecteur : ces deux jours passés à Milan ont été d’un ennui assez mortel. Aussi je suis content de mettre ici un point final à la partie la moins reluisante de notre voyage pour m’attaquer au reste, beaucoup plus comique, philosophique, érotique, didactique, psychédélique, classique ?
Ouais.
On la quitte donc la Milan. Cette grande « damn ». La caverne aux merveilles. « Ne toucher qu’avec les yeux ». C’est ce que l’on peut lire en arrivant en ville. L’ostentatoire cérémonial est bien parti en live et finit par sonner faux à l’image de ces tribus de pingouins qui se déversent depuis les portes de la Scala, étroitement ouvertes deux fois par jour. On lui fait signe du doigt à la nonne qui s’habille en pute. Le train se met à carburer. On sort d’un tunnel. La campagne s’approche tandis que la ville s’éloigne. Hop. Un battement de cils et elle s’en est déjà allée vers d’autres occupations.
Queen of Superficial…
(© Syd Vesper 2010)