CRISP-19 / Épisode 3

1er épisode ici

English translation available here

(Cette œuvre est protégée par la SACD)

NOTICE pour le lecteur :

Vous vous apprêtez à lire l’épisode 3 de mon nouveau roman-feuilleton, CRISP-19.

Deux possibilités s’offrent à vous : lire l’histoire directement sur cette page, ou la télécharger ci-dessous au format PDF (ce que je recommande, afin de bénéficier d’une mise page optimale) :

Bonne lecture dans tous les cas, et souvenez-vous d’une chose :

vous n’êtes pas prêt.

Andy Warhol a dit dans les années 60 qu’à l’avenir, tout le monde serait célèbre pendant 15 minutes.

Il avait raison sur un point.

…Pour ce qui est des quinze minutes, il s’est avéré qu’il avait grandement surestimé notre capacité d’attention. 

Épisode 3 : L’île des morts

Émission spéciale BFMTV / hécatombe chez les stars.

— De retour pour notre flash spécial : hécatombe chez les célébrités, Apolline de Malherbe, je suis en compagnie de nos experts pour décrypter cette actualité à peine croyable ; le décès à quelques jours d’intervalle de dizaines d’éminentes célébrités. Sebastien Chollin, vous êtes expert mondain, vous avez été correspondant permanent à Hollywood pour Voici et Gala pendant des années, pouvez-vous nous faire un récapitulatif de la situation ?

— Eh bien Apolline, tout semble avoir commencé il y a quelques jours, lundi pour être exact, avec le décès de Rihanna dans son manoir de Los Angeles. Le lendemain c’était au tour de Tom Cruise. Hier on apprend entre autres la mort de Beyoncé, aujourd’hui de Justin Bieber – excusez-moi si je ne les énumère pas tous – il faut dire, sans faire de mauvais goût qu’on ne sait plus très bien où donner de la tête.

— À l’heure actuelle, sait-on s’il existe un lien entre ces disparitions ?

— Non, Apolline, toutes ces célébrités étaient d’après leurs proches en bonne santé et ne suivaient pas de traitement particulier. En revanche, ce que l’on apprend – toujours de la bouche de leur entourage – c’est que certaines de ses stars se seraient plaintes, au moment des faits, de maux de tête, chaque fois accompagnés de propos incohérents. Une femme de ménage rapporte par exemple qu’elle aurait entendu Rihanna parler du rappeur Jay-Z comme de son mari. Tom Cruise d’Indiana Jones comme un film dans lequel il aurait eu le rôle-titre. The Rock de lui comme d’un ex champion de boxe. Jeff Bezos aurait été persuadé d’être l’inventeur de l’Iphone. Christiano Ronaldo aurait affirmé avoir remporté la coupe du monde avec l’Argentine. Et j’en passe.

— Intéressant. Monsieur Delcourt, vous êtes directeur du GHU Paris psychiatrie et neuroscience, comment pourraient s’expliquer ces symptômes pour le moins étranges ? 

— À l’heure où je vous parle Appolline, on sait encore peu de choses puisque les résultats des autopsies de Mr Cruise et de la chanteuse Rihanna n’ont pas encore été rendus publique. Elles sont en cours pour les autres vedettes énumérées par votre collè…

— …Mais quel est votre avis d’expert sur la question ?

— Mon avis est qu’en l’absence de symptômes physiques remarquables, et je dis bien « remarquables » parce que le fait qu’une personne ait l’air d’être en bonne santé ne signifie pas qu’elle le soit…

— …Pardonnez-moi de vous couper, Docteur, mais les proches des victimes ont affirmé qu’elles ne suivaient pas de traitement.

— Certes, mais à cela je répondrais Apolline : qu’en savent-ils après tout ? Il existe une chose que l’on appelle le secret médical et qui est à l’entière discrétion du patient et son médecin… Ceci étant, d’après ce que l’on sait et les symptômes évoqués, l’hypothèse de troubles mentaux semble être la piste à privilégier. Quant à savoir ce qui a pu les engendrer….

— Pensez-vous qu’il puisse y avoir un lien entre ces décès comme le laisse entendre une rumeur dans les sphères médicales ?

— En tant qu’expert je ne peux pas vous en apporter la preuve formelle, mais ce qui est certain, c’est qu’en termes de statistiques, sans être mathématicien, il est très étrange, voire improbable que ces immenses célébrités décèdent en même…

— … Je vous coupe Messieurs, priorité au direct, on apprend à l’instant la disparition de Leonardo di Caprio, Doja Cat, Kanye West, Mark Zuckerberg, J.K Rowling.

— Pas croyable…

— Je crois qu’on peut maintenant avancer avec certitude qu’il existe un dénominateur commun dans ces disparitions mystérieuses.

— Richard Chatrian, vous êtes chroniqueur Mondain pour VSD depuis vingt-cinq ans, quel est votre avis d’expert ?

— Écoutez Apolline, je risque de mettre les pieds dans le plat mais à en juger les profils des victimes ; toutes des célébrités planétaires, je pense que pour comprendre ce phénomène il faut chercher dans ce qu’elles ont en commun : des trains de vie luxueux. Donc cela pourrait être quelque chose d’aussi bête qu’une intoxication dans un grand restaurant qu’elles auraient fréquenté… je ne sais pas, au homard, ou ce poisson japonais très rare dont il faut retirer la glande à venin…

— Ah oui, comment s’appelle-t-il déjà…

— Je l’ai sur le bout de la langue…

— Non, attendez, ce n’est pas…

— C’est agaçant n’est-ce pas ?

— Messieurs, laissez parler Jennifer s’il vous plaît… Jennifer, vous êtres l’autrice d’une biographie sur Rihanna…

— Oui, Apolline, il est de notoriété publique que Rihanna ne mange pas de homard.

— Et cela n’expliquerait pas les troubles neurologiques.

— Le fugu !

— …Les supposés troubles neurologiques.

— Ou pourquoi pas une nouvelle drogue d’élite… On sait pardonnez-moi que les stars ne sont pas les dernières à consommer des substances illicites, il s’agit peut-être d’un nouveau produit mal dosé qui viendrait d’arriver à Hollywood.

— Mais toutes les stars décédées ne vivaient pas à Hollywood.

— Autre théorie Messieurs, car nous nous devons bien sûr de couvrir tous les points de vue sans exception – question d’éthique professionnelle – certains complotistes affirmeraient que les stars ne sont pas vraiment mortes, qu’elles auraient mis en scène leur propre disparition pour échapper au public et partir rejoindre Elvis et 2Pac sur une île spéciale pour personnes célèbres souhaitant finir leur jour en paix.

— Peu probable… Rihanna venant elle-même d’une petite île appelée la Barbade. Je pense que cela serait pour elle comme… euh, un pas en arrière. Une régression en quelque sorte.

— Cette île spéciale dont vous parlez, ça ne serait pas celle de Jeffrey Epstein ?

(rires)

— Petite page de pub, messieurs. Restez avec nous pour le décryptage de cette actualité incroyable : les disparitions de dizaines de célébrités à quelques jours d’intervalle. 

*

Milo ricana en pressant le bouton « off » de sa télécommande, congédiant le visage ridiculement sérieux d’Apolline de Malherbe dans l’abîme électronique de la dalle Oled. Il reçut une notification de l’AFP sur son téléphone. Elle l’informait que Lady Gaga, Margot Robbie, Drake et MBappé étaient morts à leur tour. Son sourire serpentin se mua en une grimace de triomphe. 

Milo était un journaliste de tabloïd freelance et comme tous les gâte-papiers de cette case sur le déclin, il haïssait secrètement les célébrités. Il se congratulait régulièrement à qui voulait l’entendre de ne pas en être une lui-même. Et de fait, il n’était pas un journaliste très fameux. Son fait d’arme le plus rayonnant était un article écrit il y a deux décennies, durant son stage d’été au Monde Diplomatique, et qui portait sur la rébellion houthiste au Yémen. Il se souvenait de l’avoir gribouillé en plein hiver, bien au chaud de son petit appartement de bonne situé vers Nation. 

Il regarda par la fenêtre, se demanda ce que l’autre pouvait bien foutre.

Milo avait rendève avec un confrère journaliste ; un chroniqueur de Quotidien ; un type qu’il avait connu à l’école de journalisme. Le genre mauvaise notes et tout, mais populaire. Un bagou du diable. Quoi de plus normal qu’il ait fini à l’antenne, là où s’échouaient tous ces crétins incapables de… euh, faire autre chose. C’était du moins son idée fixe, et Milo avait entendu dire qu’il lui avait fallu batailler dur pour décrocher ce créneau dans l’émission. Une chronique sur les célébrités. Milo détestait Quotidien, cette « lucarne pour hipster parisien ». Milo était secrètement jaloux. Son regard se perdit à travers le carreau sale de sa minuscule fenêtre.

En contrebas il aperçut son confrère jaillir de la bouche de métro, arborant la même foutue poire de cruiseur qu’à l’école, pointant un sourire ringard sur un troupeau de nanas qui devait l’avoir reconnu. 

« Des insta-putes, songea Milo en se grattant le cuir chevelu. 

Lui était un professionnel ; pas une starlette du petit écran. Il appréciait son anonymat. Mieux : il en avait besoin pour ses enquêtes. Question de couverture. Des trucs que l’autre ne pouvait pas comprendre. Qu’il ne pouvait même pas concevoir. Il serra les poings, fixa pour se détendre toutes ces stupides voitures qui passaient dans la rue. Il entendit bientôt le pas de son confrère dans le vieil escalier. On toqua à la porte. Milo laissa passer deux ou trois secondes.

« Entre, Étienne, c’est ouvert. » (Connard !)

Étienne entra. Milo était toujours à la fenêtre, faisant mine d’être absorbé par un truc – le genre : réflexion profonde.

« C’est sympa chez toi, lança l’autre avec un sifflement admiratif qu’il jugea peu fiable. Waouh, ta télé est énorme !

L’appartement était un cinquante mètres carrés qu’il occupait seul – certes – mais dans une rue sans grande personnalité de Saint-Fargeau.

Milo ne s’était toujours pas détourné du carreau. Il ne savait pas très bien pourquoi. Cela l’ennuyait bien car il aurait fallu donner à présent une chute à cette attitude originale. Or Milo n’avait précisément aucune idée de très originale.

« Qu’est-ce que tu mates, mon vieux ? » 

Il marqua une pause avant de répondre à son confrère. 

— J’étais en train de penser que c’est fou quand on y pense… qu’il n’y ait pas davantage de bagnoles volées ou abîmées.

— Comment ça ?

— Si tu y réfléchis bien : les voitures sont le seul truc au monde que les gens laissent littéralement traîner dehors. Comme ça ! À la vue de tous !

Étienne sourit, comme s’il venait soudain de se rappeler un truc crucial.  Une lubie de vieux copain bizarre que l’on n’a pas vu depuis des lustres.

…Et ça a de la valeur une auto ! Même une épave de vingt ans avec trois-cents mille kilomètres au compteur vaudra toujours quelques centaines d’euros ! Tu te rends compte Étienne ? Quelques centaines d’euros ! laissées là ! dans la rue ! presque à l’abandon ! 

— Ce n’est pas si facile que ça de voler une voiture, Milo.

— Je sais, je sais, fit-il, agacé en agitant les bras. Je te parle d’un point de vue conceptuel.

— …pour ce qui est des deux roues en revanche, ton raisonnement se tient, l’ami. Milo grinça des dents. Étienne avait glissé cela prudemment. D’une voix presque apaisante qui lui déplaisait parce qu’elle flirtait dangereusement avec une chose qu’il détestait par-dessus tout : la condescendance.

… Mais aussi, parce qu’ils sont beaucoup plus faciles à chaparder… D’un point de vue pratique, conclut son confrère.

Milo fit volte-face à cet instant précis et se dirigea vers Étienne qui lui serra la main en glissant :

— Ça faisait longtemps… Tu as reçu mon mail ? 

— Bien sûr. Sinon tu ne serais pas là. Comment ça se passe chez Quotidien ? 

— Tu es au courant ?

— Difficile de ne pas l’être.

— Pour l’instant tout roule. Yann m’a à la bonne. La chronique est..

— …Qu’est-ce que tu fais déjà, rappelle-moi ?

— Une chronique actu célébrités.

— Incroyable… pas mal de boulot en ce moment ?

— C’est ça.

— Espérons que l’hécatombe se ne prolonge pas trop… ou tu risques de te retrouver au chômage… au chômage technique, même, haha ! (Il rit de sa plaisanterie). Tu imagines ? un monde sans célébrités… 

— Hey, justement mon vieux, c’est de ça que je voulais te parler ; avec ce qui se passe et cette nouvelle pandémie étrange qui n’a pas l’air d’être partie pour s’arrêter, on est en train de préparer des plateaux spéciaux. Yann veut un suivi avec des experts. On a pensé à toi… à l’antenne… avec nous.

Milo déglutit. S’en rendit compte trop tard. Dût faire un effort pour ne pas opiner du chef. Il ne voulait rien laisser entrevoir du sentiment de jubilation qui faisait mousser son sang, ni de l’allégresse qui lui tordait les boyaux. Il eut envie d’aller aux toilettes, se retint. Il voulait la jouer cool. Las, mais cool. Ne pas trop appuyer sur la détente. Las mais guère plus intéressé par le fait d’être mis en avant dans une des dernières émissions de grande écoute.

— Vous souhaitez mon expertise dans le domaine du star-system. 

Étienne se rembrunit. Il ôta sa veste et demanda s’il pouvait avoir un verre d’eau. Milo hésita, contempla un instant la possibilité du robinet, ouvrit à la place le réfrigérateur pour en sortir une bouteille d’Évian. Étienne le remercia. L’eau était fraiche. Il l’apprécia d’autant plus par cette après-midi caniculaire de mi-juillet. Il n’eut pas l’air de s’apercevoir qu’il s’agissait d’eau du robinet. Une vieille bouteille que Milo avait remplie il y a trois jours.

— En fait, j’ai pensé à toi pour autre chose, dit-il en reposant son verre vide avec une espèce de grimace. Est-ce que tu te souviens de ton mémoire de fin d’étude ? « Vie et mort d’une célébrité », c’était un truc comme ça, non ?

— « Vie, mort, célébrité », le corrigea Milo d’une voix blanche.

— …pendant qu’on préparait les futures émissions avec Yann et les autres chroniqueurs, j’ai, euh… enfin va savoir pourquoi je me suis souvenu de ce truc que tu avais pondu, enfin, écrit, à l’école. C’était, euh… dark non ? Un truc sur la chute de la civilisation, par le prisme de notre obsession pour les stars, le crédit social, tous ces trucs ? J’ai, euh… souvenir d’un truc particulièrement, euh… nihiliste. Mais peut-être que ma mémoire me fait défaut… 

— Ce n’était pas si horrible que ça… disons que j’y développais comment selon moi le culte de la célébrité dans nos sociétés contemporaines retardaient le progrès et avilissait la civilisation en…

— Je t’explique, le coupa Étienne, on cherche un mec pour faire le contre-point en plateau… le genre dark, tu vois ? …pour démonter les intervenants d’en face qui seront tous très good vibe à se lamenter au jour le jour du décès de nos stars préférées. On a besoin d’un trouble-fête pour faire le buzz sur les réseaux et tout, un grinch quoi… Mais, euh… je me suis peut-être trompé, je n’ai plus ton mémoire en tête. Il était peut-être pas aussi, euh… dark que ça.

Milo se tut. Hardcore, son morceau préféré du dernier album de Rihanna s’était mis à rebondir dans sa tête. Il comportait dans le refrain un sample de Killing in the name par son groupe favori : Rage Against the Machine. Il marcha jusqu’à la fenêtre et repéra, garée près du parcmètre, une jolie BMW dont la carrosserie rutilait au soleil avec une insolence très italienne, euh… Allemande. Enfin peu importe, se dit Milo. 

— …Non… non, c’est vrai que je n’y étais pas allé de main morte, fit-il en émettant un drôle de bruit. Le genre à passer pour une sonnette – plus vraisemblablement un rire. Ces enculés de profs ne m’avaient pas fait de cadeau non plus lors de la soutenance orale…

— Comment ça s’était passé ?

Son visage se fendit d’un sourire.

— Qu’est-ce que tu crois ? 

— Je ne sais pas, dit Étienne en se glissant dans un fauteuil. Justement, j’aimerais le savoir. Il avait dit cela sur le ton d’un entretien. Un truc très protocolaire qui couvrait plutôt bien la saloperie dissimulée en dessous.

Milo égratigna encore une fois du regard la BMW, puis s’en détourna pour hocher la tête comme un automate :  

— Je leur ai chié à la gueule… Ouais. Je leur ai bien fermé leurs claque-merdes à ces cons…

Étienne arbora un sourire satisfait. Le même que Milo – à deux ou trois détails près. (Les dents blanches, impeccablement alignées par exemple). 

— Bien, fit-il en se levant, comme libéré d’un poids. Bon, je dis à Yann que ça t’intéresse alors ?

Son confrère haussa les épaules.

— Si vous avez besoin de mon expertise je pourrai passer une tête, bien entendu. 

— Excellent.

— En plateau ? 

— En plateau, oui, et hm… rappelle moi combien tu as de Suiveurs déjà ? Sur les plateformes en général ?

— Hm… Quelques centaines, enfin presque mille, pourquoi ?

— Cela risque de changer bientôt. 

Un instant après, Étienne était parti. Milo l’observa depuis sa fenêtre tourner stupidement en rond sur le trottoir, à l’affût de son UBER. Il marcha jusqu’à la cuisine, se saisit du premier couteau à portée de main et le glissa sous sa chemise. Il brûlait d’excitation. Hardcore en était presque à son troisième refrain et la chanson finirait bientôt. Il ne lui restait plus beaucoup de temps. Sans même fermer la porte de son appartement, il descendit quatre à quatre les escaliers, arrachant à chacune des vieilles marches un gémissement unique de vieille batterie aux tirants désaccordés. 

Dehors, il tourna la tête dans une direction, puis l’autre, ne sachant à quoi fixer son attention ou suspendre ses pensées. Il était ivre de joie. Étienne avait disparu. À quelques mètres, il repéra la BMW aperçue depuis sa fenêtre. Lentement, il s’approcha. 

Un coup d’œil au reste du boulevard l’informa qu’il était presque seul. Il sortit donc le couteau de son t-shirt et, tout en frôlant l’auto, s’appliqua à laisser une belle entaille sur toute la longueur de l’aile droite. C’est en jetant la lame, qu’il croisa soudain le regard d’un couple. Celui-ci avait assisté à la scène sans rien dire. Il leur adressa un timide sourire en coin qu’il lui rendit plus ou moins, et c’est le cœur léger qu’il se laissa conduire où ses pieds voulurent bien l’entraîner. Il était sur un nuage, la tête pétrie de pensées exaltantes. Tant de possibilités s’offraient à lui ; il pouvait aller déguster un gelatochez cet excellent glacier du canal Saint-Martin, ou peut-être une crêpe chez Armorix, à côté de l’hôpital Saint-Louis. Sur le chemin du retour, il irait acheter quelques livres au Monte en l’Air ; ouvrages qu’il n’ouvrirait sans doute jamais, cela après s’être fait conseiller de longues minutes durant par cette apprentie libraire, une de ses insta-putes addict du hashtag #BookTok dont Milo avait cru comprendre qu’elle était en stage de troisième. Cela fait, il commencerait à se faire tard et il rentrerait chez lui pour finir en beauté ; consacrant la paire d’heures suivantes à écumer ses sites pornos favoris jusqu’à trouver la vidéo idoine. C’était une belle après-midi de juillet. Milo avait quarante-cinq-ans et la vie semblait enfin lui tendre les bras. 

Oh que oui il allait enfin l’avoir : son putain de quart d’heure de célébrité.

*

La nuit avait été douce et agréable à Santorin. Pauline s’éveilla peu après l’aurore, alors que le soleil dispensait à l’île ses premiers rayons. La chaleur rampait déjà le long des façades immaculées des lotissements 4 étoiles. L’adobe dégageait un musc minéral blanchi à la chaux. L’air était parfumé d’iode ; saturé du vrombissement des drones ; ceux des touristes ; ils survolaient les venelles à toute allure pour capter le lever du jour. 

À côté d’elle, emmitouflé dans les draps assortis aux rideaux – en lin eux aussi – s’élevait la forme ensommeillée de Victor. Et Pauline se demanda si comme elle un instant plus tôt, il rêvait de riches collaborations, rencontres et stories à partager. Elle se pelotonna au creux de son torse musclé, tendit le bras pour caler son téléphone sur la table de nuit, lança l’enregistrement vidéo et, referma les yeux avant de donner un coup de rein en arrière – trois fois rien ; juste une petite secousse pour qu’il se réveille. Victor remua, marmonna un truc, gigota de nouveau, se tourna de l’autre côté, puis se rendormit, au grand dam de Pauline. Elle cherchait à capter l’authentique, un instant suspendu : celui où ils se réveilleraient ensemble, émergeraient de leur douce léthargie pour s’offrir, vierges à cette « autre page blanche » ; un « nouveau jour ». Les Suiveurs raffolaient de ce genre de publication. Elle donna un autre coup. Cette fois-ci plus fort, avec le coude et dans ses côtes. Victor tressaillit, se redressa sur son séant.

« Qu’est-ce que tu fous, bébé ?! » 

Pauline s’enlisa sous les draps, ne laissant dépasser que ses lèvres et son petit nez, songeant que la prise ne serait pas totalement fichue si Victor se recouchait, ce qu’il fit, en venant se blottir contre elle. Elle exulta – la story allait être superbe. C’est ce qu’imprima son cerveau. Puis, tout d’un coup, la jeune femme retint son souffle. Sous le drap, la main de Victor venait de se poser contre son sein. Elle déglutit. Il lui effleura le mamelon. Elle ne put réprimer un râle de plaisir. La paume suivit la courbe de son ventre, glissa jusqu’à ses cuisses et son entrejambe pour y tremper le bout des doigts. Elle frissonna, craignit que cela se remarque sur la vidéo. Ce n’était pas ce qu’elle avait prévu. Pas du tout. Elle n’était pas comme ces filles. Elle pensa à l’une de ses consœurs : Nitsa Vanlith et sa dernière story torride avec son petit copain. Un de ces détraqués de Monteur. Nitsa avait bien plus de Suiveurs qu’elle. 

Victor ronronna d’une voix ensommeillée :

« La prochaine fois que tu veux me réveiller par surprise, bébé, plutôt que de me frapper, fais-moi plutôt une pipe… enfin… un truc comme ça. » 

« Victor ! Uhh… fit-elle en repoussant les couvertures pour se saisir de son téléphone et stopper l’enregistrement.

« Quoi, bébé ? »

— Zeubi ! Tu viens de me bousiller ma story…

— Tu faisais une record ? Mais, euh… tu aurais dû me prévenir, bébé !

Pauline soupira.

— Laisse tomber, Vic… Elle quitta le lit, le carrelage frais se glissa sous sa plante des pieds, et enfila une robe de chambre. La Givenchy couleur crème. Je pensais juste que depuis le temps qu’on se fréquente, certaines choses se feraient… enfin tu vois, de manière, genre… naturelle sans que l’on se briefe sur tout. On ne devrait pas avoir autant besoin de parler… Certaines choses doivent se passer de mots… tu comprends ? 

Pauline était un peu plus âgée que Victor, et elle n’avait qu’un peu plus de Suiveurs que lui mais depuis beaucoup plus longtemps. C’était dans pareilles situations que le jeune homme mesurait la brèche qui les séparait. La maturité, l’intelligence émotionnelle qui lui faisait encore trop souvent défaut. Pauline avait voulu les immortaliser au réveil et lui, avait réclamé une fellation. Il avait tout gâché. Victor s’en voulait.

« Ce n’est pas grave, lança la jeune femme depuis la salle de bain. Prépare-toi pour le petit déjeuner.

— On peut la refaire si tu veux, je ferai semblant de me réveiller !

— Victor, ça ne marche pas comme ça, baby… sois professionnel. Allez prépare-toi vite ou les meilleures tables vont être prises. J’aimerais faire quelques images…

Il lui rendit son sourire et, ragaillardi, s’activa à ses côtés au lavabo jumeau. Pauline avait lancé une playlist intitulée « Chill Morning » et « We all want love » de Rihanna se mit à jouer dans l’enceinte bluetooth. Pauline lui en voulait moins qu’elle ne le laissait paraître. Il était comme un chiot fou qu’il lui fallait éduquer. Il avait du potentiel. La chargée de com avait insisté sur ce point. Un énorme capital sympathie. C’était une pépite brute, mais il lui fallait canaliser son énergie. Si elle y parvenait, leur cote monterait très haut. Ils deviendraient des influenceurs d’un tout autre calibre. Des célébrités. Oui, Pauline devait apprendre à le domestiquer. Ils étaient encore jeunes. Guère plus de vingt-deux ans. Du reste, leur vie de couple ne lui déplaisait pas. C’était un amant attentif. Et il avait une jolie queue. 

— Qui est mort aujourd’hui ? demanda-t-elle en le voyant désactiver le mode avion de son téléphone – son petit rituel avant d’aller au lit, avait-il coutume de dire, prétextant que cela bloquait les « mauvaises ondes » (d’après une vidéo qu’il avait regardée sur TikTok).

— Hm, fit-il en ouvrant son fil d’actualité. Oh, mince…

— Quoi ? fit Pauline, avide d’entendre la suite. Qui est mort, Vic ? 

Elle aurait pu consulter son propre téléphone mais l’entendre de la bouche de quelqu’un d’autre donnait toujours une ampleur et un cachet supplémentaire à la chose, un petit frisson unique qu’elle appréciait bien.

— Marion Cotillard, Cilian Murphy, Angèle, Margot Robbie, et euh… David Beckham…

— Est-ce que Victoria est morte ?

— Son nom n’est pas marqué, non.

— La pauvre.

— Attends c’est loin d’être fini… Nicki Minaj, Conor McGregor, Johnny Depp, Miley Cyrus, Kim Kardashian, bla bla et j’en passe…

— Non ! continue encore un peu, protesta Pauline en passant dans ses cheveux la brosse à poil de sangliers (cadeau d’une marque partenaire) Allez, baby, s’il te plaît ! Juste encore un peu…

— Bon, euh… Oprah Winfrey, Roc… c’est euh… attends, qui ? Rocco… Siffr…

— Rocco Siffredi, baby.

— Hm, ouais, et euh… Ryan Gosling, Mick Jagger, Shakira…

— C’est dingue.

— Certains médias font remarquer qu’ils sont un peu moins célèbres que les stars de la, euh… prem… première vague ? Visiblement c’est comme ça qu’ils l’appellent.

— Y a-t-il une immense célébrité encore en vie ?

Victor réfléchit une minute en se passant de la cire dans les cheveux.

— Gérard Depardieu.

Pauline leva les yeux au ciel.

— On le connaît parce qu’il est français, mais il n’est pas si célèbre que ça à l’étranger !

— Dans certains pays si, genre en Russie.

— Il n’est pas connu comme Rihanna.

— Non, admit Victor. 

— À ton avis, quand est-ce qu’il va mourir ? Si on suit la logique de ce qu’ils disent sur BFM ; qu’il y aurait une sorte de hiérarchisation dans l’ordre des décès ?

Victor haussa les épaules.

— Disons que si Marion Cotillard est morte…

— Marion Cotillard est connue internationalement ! Elle a joué dans Batman ! Et aussi, euh… dans le film sur le temps avec les immeubles tout tordus.

— C’est sûrement la française la plus connue. Avec Angèle.

— Angèle est belge !

— À mon avis les frenchies suivants seront…

— Aya Nakamura…

— …Morte. Je n’ai pas tout lu mais elle était sur la liste, un peu plus bas.

Pauline soupira en secouant la tête.

— Dommage… Je devais la voir en concert avec une copine à la rentrée.

— Daft Punk, non ? mais comme on ne les connaissait pas trop sous leur vraie identité, je ne sais pas si ça marche pareil…

— Ouais…

— À mon avis, Delon et Depardieu vont mourir à peu près au même moment… genre demain, ou après-demain au plus tard.

— Et l’autre… la vieille qui faisait le sidaction. 

— De Fontenay ? Morte il y a genre deux ans.

— Nan ! laisse-moi finir ma phrase, l’autre vieille… Line Renaud.

— Connais pas.

— Mais si… t’es nul, Vic !

— Au contraire, c’est encourageant pour elle.

— Je vais te montrer une photo.

— Nan, bébé, arrête ! Tu vas lui porter la poisse ! Je voudrais pas ajouter ma petite pierre à sa notoriété en découvrant qui elle est. Il se figea un instant, l’écume aux lèvres, la brosse à dents dans la bouche. Je me demande comment ça marche… je veux dire ; si par exemple quelqu’un devenait connu, là, du jour au lendemain, est-ce qu’il mourrait aussi ?

— Vic, fais attention, tu postillonnes partout sur le miroir… Et c’est des bêtises ces histoires. Moi je pense que c’est une nouvelle drogue pétée. Ils en parlent partout sur BFM… 

— Qui en a parlé, bébé ?

— Comment tu veux que je le sache, baby ? Quelqu’un, c’est tout… 

En traversant la terrasse, ils aperçoivent Emily Ratajkowski à une table voisine de la leur. La vue sur la Caldeira y est imprenable. Sans doute la plus belle de l’île. Elle leur adresse un pâle sourire on ne peut plus formel, le genre à laisser entendre qu’elle ne les a pas reconnus, ce qui attaque l’entrain matinal de Pauline. La star est seule accompagnée d’une amie ; une fille boulotte et beaucoup moins belle. Quelque chose sur le visage de la star paraît s’être fané.

— Elle a l’air d’avoir des soucis, chuchote Victor en enduisant un toast de marmelade. Elle est, euh… marquée, non ?

— Vic… ne sois pas si mauvaise langue, le gronde Pauline en arborant un sourire satisfait. J’imagine qu’elle est en bad à cause de euh… comment est-ce qu’ils l’appellent… le Crisp-19 ? Après tout, elle est assez célèbre pour s’inquiéter de la situation…

— Mais moins que Marion Cotillard.

— Moins que Marion, lui accorde-t-elle en versant un peu de lait dans son matcha.

Le reste de la journée fila, écumant son lot de plaisirs et de bonnes surprises. Leurs publications rayonnèrent, multipliant les très bons scores. Il y eut d’abord celle sur le jet-ski ; un magnifique timelapse de Victor slalomant entre les barques des pêcheurs. Ils l’avaient pris juste avant de partir déguster des poissons frais dans ce minuscule restaurant troglodyte perdu au sud de l’île et seulement fréquenté des locaux. Sur place ils rencontrèrent un autre jeune couple, des influenceurs eux aussi, un peu plus connus qu’eux et avec qui ils sympathisèrent autour de margaritas bien relevés. Durant le dessert, (des yaourts grecs au miel accompagnés de Melomakarona) ceux-ci leur proposèrent de se joindre à eux pour visiter une plage secrète.

« Une plage secrète ? répéta Victor en écarquillant les yeux d’excitation. Mais son enthousiasme se heurta, quelque part sur sa droite, à Pauline qui se contenta d’un air intrigué. La jeune femme avait bien plus d’expérience que lui et savait faire montre de retenue, en particulier lorsqu’elle se savait en position d’infériorité sociale. 

De l’autre côté de la table, plongée dans la semi-pénombre fraiche et silencieuse du restaurant, le visage de son interlocutrice s’éclaira d’une petite flamme.

« Est-ce que vous vous rappelez de cette story postée par Emrata la semaine dernière ? » 

Le crissement d’une chaise perturba alors le paysage sonore. C’était celle de Pauline qui venait de se pencher en avant.

« Une… euh… plage secrète vous dites ? » 

« Elle est, euh… (la jeune femme parut chercher un mot) genre… enclavée dans la falaise et accessible uniquement par bateau… oui, c’est ce que le mec nous a dit, pas vrai bébé ? »

« C’est ce qu’il a dit, baby, confirma son copain.

« …Elle n’est d’ailleurs connue que des locaux Il n’y a presque jamais personne… Alors ? Ça vous dit ? Ça serait une super histoire à raconter vous ne croyez pas ? »

Victor interrogea Pauline du regard et une minute plus tard, l’excursion était programmée pour le vendredi même, jour où le ciel serait le plus dégagé et où ils pourraient vivre de magnifiques histoires au coucher de soleil dans la petite crique entourée de ses immenses roches blanches. (Pauline était allée jeter un œil sur Google en éclaireuse). Elle en avait décidé ainsi : ils allaient vivre un moment authentique et spontané. Et pour cela il lui fallait tout préparer méticuleusement. Elle était excitée, à un point qu’elle en oublia presque ses règles. La story de Emrata postée sur cette plage mystérieuse dansait à présent sous son crâne. 

L’après-midi n’est pas en reste ; ils prennent un catamaran pour visiter en petit groupe la caldeira de Santorin. Le service à bord est très passable mais le spectacle qui les attend sur le volcan leur fait oublier le ouzo tiède. Victor fait une story où on le voit creuser d’une dizaine de centimètres sur la terre fumante, cela pour faire observer qu’à faible profondeur déjà, la terre se réchauffe, signe d’une « intense activité volcanique souterraine » (comme l’a expliqué le guide un peu plus tôt). Leur story demeurera toute l’après-midi la plus vue de la localisation et Pauline sera très fière de son amoureux.

« Sa dernière éruption date de 1950, ajoute le guide. Ça ne fait aucun doute que ça se reproduira un jour… Dans 500 ans ? un siècle ? trois mois ? demain ? Difficile à dire.

« C’est pour me tuer qu’il dit ça, plaisante quelqu’un pas très loin d’eux.

— Ça y est, vous m’avez déverrouillé une nouvelle peur, s’empresse d’ajouter Victor tout haut, ce qui fait beaucoup rire le petit groupe. 

« Heureusement, il y a aujourd’hui des instruments de mesure très perfectionnés qui peuvent nous prévenir à l’avance de telles catastrophes, les rassure le guide. 

— Donc aucune chance que ça arrive, euh… genre après-après-demain ? reprend Victor, encouragé par le succès de sa publication et les réactions des autres. On a une excursion de prévue à White Beach, nous !

Les rires redoublent, certains demandent à Victor s’il est le « garçon de la story » et Pauline sent un frisson de désir lui chatouiller le bas ventre. Elle a décidé qu’elle le baiserait à mort. Ce soir, dès qu’ils franchiront la porte de leur suite. C’est maintenant une évidence. 

« Non, je pense que vous devriez rentrer sains et saufs chez vous, conclut le guide.

— Tu as vu que le couple rencontré ce midi a partagé ta story ? fait remarquer Pauline à un moment de l’aprèm. Ça va lui donner un second souffle.

— J’ai déjà gagné +18% de suiveurs que sur le même intervalle de temps au cours de tout le mois écou…

Pauline lui glisse sa langue dans la bouche avant qu’il n’ait achevé sa phrase, serrant le bas ventre contre sa queue qu’elle sent tressaillir. Elle pourrait le baiser là, sur la roche brûlante, devant les autres. Les Suiveurs. Comme cette catin de Nitsa Vanlith.

L’après-midi achève de s’écouler paisiblement.

Le soir, lorsqu’après avoir dégusté des margaritas à la pointe de l’île, face au coucher du soleil, ils rentreront à l’hôtel, une ambulance démarrera au même moment du parking, gyrophares éteints. Dans le restaurant de l’hôtel, ils apercevront le petit couple rencontré la veille, Aline et Paul. Ceux-ci leur adresseront de grands signes depuis leur minuscule table – assez mal placée – et rapprocheront deux chaises en guise d’invitation. Victor commencera à en prendre le chemin, mais, au même moment ils remarqueront l’autre couple rencontré le matin même au restaurant. Celui-ci se contentera de pâles sourires depuis la leur, impeccablement placée dans l’axe de la mer et du volcan. Pauline tirera discrètement Victor par la manche pour l’entraîner dans cette direction.

— Vous allez bien depuis ce midi ? Vous tirez de drôles de têtes ! Lancera Victor.

— Vous n’êtes pas au courant de ce qui s’est passé ? 

— Quoi ?

— C’est Emily, elle est morte…

— Emrata ?!

— Apparemment ça s’est passé en fin d’aprèm au spa de l’hôtel. Elle était en train de faire un massage ayurvédique quand elle s’est soudain levée de la table pour se mettre à dire des trucs bizarres… Des dingueries !

— Quels genre de dingueries ?

— Euh… du genre qu’elle s’était toujours battue pour que les femmes gardent leur beauté naturelle, et tou…

— Comment vous savez tout ça ? demande Pauline en survolant son téléphone. C’est marqué nulle part dans les articles.

— Parce que sa meilleure amie était avec elle.

— Vous savez… la gro… enfin, la euh… fille qui la suit partout. 

— On la connait assez bien, c’est grâce à elle qu’on a pu faire mal de story avec Emily l’année dernière à Marbella.

— Je suis trop en bad, dit la jeune femme, pauvre Emrata, c’était un amour ! 

— Le monde va mal, confirme le jeune homme. Mais, euh… ne restez pas debout, asseyez-vous. 

Pauline et Victor échangeront un coup d’œil équivoque, à l’autre bout de la terrasse, Paul et Aline les observant toujours.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demandera le jeune couple d’une même voix.

— R… rien, dira Pauline. Enfin, pardon désolée, nous ne savions pas que vous étiez, euh… enfin… si… connus.

Il y aura un silence.

— Mais non ! finira par se défendre le jeune homme

— Seulement dans notre petite communauté ! 

— Tout de même, objectera Pauline… Enfin, vous connaissiez Emrata.

— Arrêtez avec ça… elle avait presque deux fois plus de suiveurs que nous… 

— Tout de même, ne soyez pas trop modestes. Vous êtes presque des stars, vous aussi…

— Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre, gloussera nerveusement le couple.  Est-ce que l’on vous a dit que nous étions allés nous renseigner au sujet de la location du bateau pour White Beach ? C’est beaucoup moins cher que ce qu’on pensait ! Mais joignez-vous à nous pour le dîner, allez, asseyez-vous, regardez cette vue superbe… 

Victor ne dira rien, se contentant d’observer Pauline à l’affût une réaction de sa part.

— Cela aurait été avec plaisir mais nous avons promis à d’autres personnes de dîner avec elles ce soir.

 — Bon, fera le couple en avalant presque d’un trait leurs demi-verres de Ouzo. Pour la prochaine fois, alors… Demain soir, vous êtes, euh… libres ? 

Pauline répondra qu’elle regarderait son agenda… puis, ajoutera très vite qu’elle n’emporte jamais son téléphone à table. 

Ils échangeront quelques banalités et s’éclipseront en hâte pour rejoindre Paul et Aline à leur petite table perdue aux confins de la terrasse. 

Et la journée s’achève ainsi. 

Lorsque Pauline et Victor regagne leur suite, la jeune femme, après lui avoir arraché jean et caleçon puis craché sur son sexe pour lubrifier la lente progression de ses lèvres, cille d’un coup, la bouche toute encombrée de son membre épais.

— Voc ?

— …ah continue, bébé…

— Voc !

— Quoi ?

— Ché quoi ch’machin au mur ?

Sur le mur, face au lit king size, est accroché un tableau. 

— Je, euh… je ne sais pas, halète Victor. Qu’est-ce que ça peut faire ?

— L’était pas là quand on est arrivés. Un ch’truc auchi chinistre, che m’en cherais chouvenue…

— Mon tél’ me dit que ça s’appelle « L’Île des morts », d’un certain Arnold Böcklin… apparemment il est super célèbre, bébé.

— Faut qu’y fasse attention en che moment…

— Nan, il est mort depuis longtemps… mais c’est vraiment une star de la peinture d’après wikipédia.

Pauline recrache son membre et passe la langue sur ses couilles.

— Rien foutre, baby, décroche-le, je ne veux pas voir cette croute ici.

Il obtempère et les allers-retours reprennent. 

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